jeudi 7 mai 2015

Qu'en est-il ? A vous de voir..............




"L'affaire de Tarnac" vue par l'accusation




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Le parquet demande un procès pour huit personnes après cette affaire de sabotage sur les voies TGV de l'automne 2008.
Le parquet demande un procès pour huit personnes après cette affaire de sabotage sur les voies TGV de l'automne 2008.
 
REUTERS/Jean-Paul Pelissier

Après des sabotages sur les voies TGV, à l'automne 2008, le parquet demande que trois militants d'extrême gauche, dont Julien Coupat, soient renvoyés devant un tribunal. Huit personnes au total pourraient être jugées. Décryptage.

Tarnac: une affaire hors norme

Dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, quatre fers à béton sont déposés sur des caténaires sur les réseaux TGV Nord, Sud-Est et Est. Un sabotage identique s'était produit dans la nuit du 25 au 26 octobre à Vigny (Moselle). Ces actes, coûteux pour la SNCF (une estimation fait état de près de 419 000 euros), paralysent en partie le réseau et le trafic passagers pendant plusieurs heures. 
Très vite, les soupçons se portent sur l'extrême gauche. Depuis février 2008, la police antiterroriste resserrait sa surveillance sur un groupe d'extrême gauche implanté notamment dans le village de Tarnac, en Corrèze. Prônant un retour à une vie communautaire et rurale, oeuvrant à la destruction du système capitaliste, auteurs d'un ouvrage collectif intitulé L'insurrection qui vient, ses membres sont de toutes les manifestations altermondialistes ou rencontres anarchistes, en France, à New York et en Grèce, assumant la confrontation, parfois violente, avec les forces de l'ordre
Dans la fameuse nuit du 7 au 8 novembre, les policiers surveillent d'ailleurs l'un des leaders du groupe, Julien Coupat, et sa compagne Yildune Lévy. Ceux-ci se rendent en pleine nuit jusqu'en Seine-et-Marne où ils passent une partie de la nuit dans leur voiture. Peu après 4 heures du matin, les enquêteurs assurent avoir observé leur vieille Mercedes en stationnement sous un pont de chemin de fer, à Dhuisy. Le véhicule du couple, disent-ils, est reparti un quart d'heure plus tard. 
A cet endroit précis, à 5h10, au passage du premier train, un fer à béton, déposé au cours de la nuit sur les caténaires, provoque une gerbe d'étincelles. Estimant disposer de suffisamment d'éléments, sous la pression du ministère de l'Intérieur et contrairement à l'avis de certains opérationnels, les policiers interpellent le "groupe de Tarnac" dès le 11 novembre. L'affaire, très médiatisée, devient vite politique. La défense promet de faire le procès de l'antiterrorisme (il s'agit d'un des premiers dossiers traités par la nouvelle Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI). 
Les mis en examen (10 au total) font de l'affaire une tribune médiatique pour dénoncer la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy, élu à l'Elysée l'année précédente. L'instruction, qui se fait sous haute tension, divise les rédactions. Plusieurs livres sont écrits. 

Une affaire terroriste pour le parquet

L'accusation maintient le cap: l'affaire de Tarnac relève bien du terrorisme. Dès le départ, cette qualification pénale a suscité un débat, y compris au sein du pôle de magistrats spécialisés, à Paris. A l'évidence, la pose de fers à béton était destinée à désorganiser un système de transport et non à blesser des personnes. Le parquet en convient mais pour lui, "la finalité terroriste du groupuscule ainsi constitué ne saurait être nuancée par l'absence de victimes humaines ni même par l'absence de réel risque de voir des vies humaines atteintes par les actes projetés en l'état." Il s'en tient à une stricte interprétation du droit: les "dégradations" sont de nature terroristes quand elles ont "pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur."  
Toujours selon le parquet, ces actions relèvent à l'évidence d'une "volonté de déstabiliser l'Etat", d'un plan concerté mis en place par un "groupuscule à l'idéologie extrémiste". Mais l'accusation se lance sur un terrain plus glissant, en assurant que le groupe de Tarnac risquait de passer à des crimes de sang, évoquant "l'éventualité de recourir à des engins explosifs". Selon l'accusation, "les violences contre les personnes, si elles n'ont pas été directement réalisées, n'étaient pas une voie écartée par les membres du groupe." Sur ce point, la preuve judiciaire est pourtant loin d'être rapportée. 

Qui sont les auteurs des sabotages?

Selon le document auquel L'Express a eu accès, les accusations concernent surtout les deux principaux protagonistes: Julien Coupat et Yildune Lévy. Les magistrats atténuent cependant le rôle attribué à Coupat par les juges d'instruction. Ils ne voient pas en lui un chef, un donneur d'ordres, mais l'un des acteurs. Du coup, sa mise en examen initiale pour "direction ou organisation d'un groupement" se transformerait, plus classiquement, en "association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme." Pour l'accusation, Coupat est aussi l'auteur du sabotage commis à Vigny, dans la nuit du 25 au 26 octobre 2008. 
Cette action aurait été commise avec Gabrielle Hallez, son ex compagne, ce qui justifie, aux yeux de l'accusation, le renvoi de cette dernière devant le tribunal. Elle nie les faits qui lui sont reprochés. 
Le parquet demande donc le renvoi de trois personnes pour des "dégradations" à caractère "terroriste" de lignes TGV. 
Il constate en revanche la faiblesse des charges contre les 7 autres membres du groupe qui ont fait l'objet d'un simple contrôle de gendarmerie la nuit des faits. C'est pourquoi ils ne devraient pas, selon les magistrats spécialisés, être renvoyés devant un tribunal. 
L'accusation retient cependant des délits mineurs, parallèlement aux sabotages: recel de vol, tentative d'établir de faux documents ou encore refus de se soumettre à des prélèvements génétiques. 
Au total, huit personnes doivent être jugées pour la globalité de l'affaire de Tarnac selon le parquet. 

Que risquent les suspects?

Les peines pour un délit d'"association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" vont jusqu'à dix ans de prison. 

La réponse du parquet aux polémiques

La défense, dès le départ, avait promis d'instruire le procès de l'antiterroriste. Elle aura, dans ce domaine, marqué des points sans pour autant obtenir l'annulation de la procédure. 
Les critiques ont porté sur la pièce maîtresse de l'accusation: la surveillance de Julien Coupat et Yildune Lévy, la nuit des faits et leur arrêt pendant un quart d'heure (4h05/4h20) sous le pont où a été déposé le fer à béton. Les avocats ont dénoncé, avec raison, les incohérences de certains horaires mentionnés dans le procès-verbal de filature, connu sous le nom de "D 104". 
Mais il paraît désormais acquis que des policiers étaient bien présents physiquement, même par intermittence, puisqu'ils ont matériellement saisi des documents sur les horaires des TGV déposés par le couple dans une poubelle. En outre, les relevés téléphoniques prouvent que ces mêmes enquêteurs ont rendu compte à leur hiérarchie, au plus tard à 5h23 du matin. Quant au couple, il a reconnu s'être trouvé dans le secteur de Dhuisy cette nuit-là. Ils ont bien arrêté leur voiture mais ils avaient, disent-ils, d'autres préoccupations que l'action clandestine: ils voulaient faire l'amour. 
En mars 2010, soit un an et demi après les faits, des tubes PVC ont été retrouvés dans la Marne, à Trilport, à l'endroit où s'est brièvement arrêtée la Mercedes lors de son retour vers Paris. Deux de ces tubes, vendus à la période des faits ("entre septembre et novembre 2008"), avaient été "consolidés avec du ruban adhésif". Le système permet d'avoir la hauteur et la sécurité suffisante pour poser un fer à béton sur une ligne SNCF électrifiée. Hypothèse de l'accusation: les saboteurs les ont achetés, le 7 novembre, dans un magasin Bricorama de la porte de Châtillon, à Paris. Et s'en sont débarrassés en rentrant chez eux. 
Au final, le parquet valide, sans surprise, les observations des policiers. Il se retranche derrière la décision de la chambre de l'instruction de Versailles qui "relevait la réalité de la surveillance et du dispositif policier mis en place". Et précise: "La présence physique sur les lieux était établie par les observations précises telles que la tenue vestimentaire du couple Coupat/Lévy, leur présence dans une pizzéria, leurs faits et gestes, la buée sur les vitres du véhicule Mercedes, la description circonstanciée de la recherche aux abords immédiats de la voie ferrée et la constatation de l'arc électrique et du claquement au passage du train." 
Le parquet tente de purger un point polémique du dossier: la pose éventuelle d'une balise permettant un simple repérage à distance. "Le sous-directeur chargé de la lutte antiterroriste indiquait [que la sous-direction antiterroriste] n'avait pas été amenée à faire usage d'un dispositif GPS", lit-on dans le réquisitoire. C'est vrai. Mais ce n'est pas l'entière vérité. Selon les informations de L'Express, il y avait bien un dispositif de géolocalisation mais installé... par la DCRI, service de renseignement, en dehors donc de la procédure judiciaire. Ce qui pose un problème évident en terme d'égalité des armes entre défense et accusation. 
En résumé, devant un tribunal, Julien Coupat et Yildune auront du mal à expliquer leur présence à Dhuisy cette nuit si particulière par leur envie de faire l'amour. Et les policiers devront admettre la présence d'une balise. Mensonge contre mensonge? 

La date du procès

L'affaire de Tarnac vient de franchir une étape importante mais le procès qui se profile est encore loin. Les avocats de la défense vont pouvoir faire appel de la décision du parquet. La juge d'instruction Jeanne Duyé rendra ensuite son ordonnance: à elle de décider in fine qui doit être renvoyé ou pas. Cette ordonnance est attendue à l'automne, période à laquelle la magistrate quittera ses fonctions actuelles. Difficile dans ces conditions d'envisager la tenue d'un procès avant 2016. Huit longues années après les faits... 

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