dimanche 14 novembre 2010

Ce qui se passe en France..parfois un peu partout..& à tous les niveaux de la société

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Affaire Boulin : ces nouveaux témoins qui parlent d’« assassinat »

    30 octobre 1979, au petit matin, le corps de Robert Boulin est retrouvé dans cinquante centimètres d’eau, dans un étang de la forêt de Rambouillet, dans les Yvelines.


    Le choc est immense. Ministre du Travail et de la Participation, Robert Boulin, gaulliste réputé pour son intégrité et sa force de travail, faisait partie des successeurs potentiels à Raymond Barre pour Matignon. Ce que Valéry Giscard d’Estaing a confirmé publiquement lors d’un colloque le 2 mars 2009, au Sénat. Député-maire de Libourne, Robert Boulin avait passé plus de 15 ans (un record) dans les ministères de la République, au service du général de Gaulle, de Georges Pompidou puis de Valéry Giscard d’Estaing.
    Boulin s’opposait vigoureusement au président du RPR, Jacques Chirac, soutenu dans l’ombre par les hommes du SAC (Service d’action civique) de Charles Pasqua et les réseaux de Jacques Foccart, « Monsieur Afrique » du gaullisme.
    Officiellement, Robert Boulin se serait suicidé à cause d’une histoire immobilière, dans laquelle le ministre avait en réalité été abusé par un escroc, proche de Jacques Foccart, Henri Tournet, décédé, selon nos informations, en janvier 2008, à Santiago du Chili où il s’était retiré.
    Très vite, la famille Boulin ne va plus croire au suicide, mais à l’assassinat. En juin 1983, elle dépose plainte pour « homicide volontaire ». Mais en mars 1992, la justice conclut à un non-lieu.
    En 2007, la fille de Robert Boulin, Fabienne, réclame une réouverture d’information judiciaire sur la base d’éléments nouveaux révélés par la presse (Canal + et France-Inter), puis dans un livre (« Un homme à abattre », Fayard) publié par l’auteur de ces lignes. Requête refusée en octobre 2007 par Laurent Lemesle, le Procureur général de la Cour d’appel de Paris, ex-conseiller pour les affaires de justice de Jacques Chirac.



    Aujourd’hui, France Inter apporte de nouveaux éléments au dossier Boulin, accréditant la piste criminelle.


    Parmi ces éléments :
    • Un ancien assistant des médecins légistes ayant participé à la deuxième autopsie de Robert Boulin en 1983 parle pour la première fois publiquement d’un « coup » derrière le crâne du ministre et de la trace d’un « lien » au poignet.
    • L’ex-ministre gaulliste Jean Charbonnel dévoile les confidences d’Alexandre Sanguinetti sur l’« assassinat » de Robert Boulin. Des propos confirmés par la fille d’Alexandre Sanguinetti. Jean Charbonnel déclare : « Je n’ai plus de doute : Robert Boulin a été assassiné ».
    • Un ancien policier, aujourd’hui conseiller national UMP dans la 3ème circonscription de Vendée, affirme que son oncle, « indic » infiltré dans le « milieu » pour le compte de la police, aurait assisté à l’assassinat de Robert Boulin, avant d’être abattu un an plus tard dans une fusillade.
    • Un ancien fonctionnaire du SRPJ de Versailles -service de police chargé à l’époque de l’enquête sur la mort de Boulin- affirme aujourd’hui ne « plus croire au suicide » et met en doute le témoignage de certains de ses collègues à l’époque.
    • Des écoutes téléphoniques de novembre 1966 révèlent que le Procureur général en charge de l’affaire Boulin, qui s’est rendu sur place dans la nuit du 29 au 30 octobre 1979 avant la découverte officielle du corps, était intimement lié aux réseaux Foccart et faisait libérer des truands. Ce que confirme l’ancien patron de l’OCRB (Office central de répression du banditisme) Lucien Aimé-Blanc.
    • Un ancien acteur du BTP raconte pour la première fois publiquement comment trois semaines avant la mort de Robert Boulin un responsable du RPR lui tient cet étrange propos : « Boulin a cru que c’était arrivé. Le problème sera bientôt réglé. On n’en entendra plus parler ! »
    • 30 ans après la mort du ministre, la CIA (Central Intelligence Agency) refuse toujours de « déclassifier » le dossier Boulin, pour des raisons notamment de « politique étrangère ».
    D’autres témoignages inédits et documents sont à retrouver dans ce dossier spécial, 30 ans après la mort de Robert Boulin.
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    Enquête : Benoît Collombat - Mise en ligne : Valeria Emanuele


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    Me OLIVIER MORICE : « JE VAIS DEMANDER LA REOUVERTURE DU DOSSIER BOULIN »



    L’avocat de Fabienne Boulin, Me Olivier Morice estime que tous ces éléments « sont de nature à faire rouvrir le dossier Boulin. » Il va effectuer une démarche en ce sens « dans les prochains jours » auprès du Procureur général près la Cour d’appel de Paris. « Il s’agit, non pas d’un suicide, mais d’un assassinat politique », estime l’avocat de Fabienne Boulin.
    Ecoutez Me Olivier Morice (4’29")



    Parmi les éléments nouveaux que nous révélons, Olivier Morice revient notamment sur la décision de la CIA de ne pas « déclassifier » le dossier Boulin, 30 ans après.
    « Si Robert Boulin s’est suicidé, pour quelle raison la CIA détiendrait des documents compromettants pour les autorités françaises de l’époque ? » « Il faudrait aussi en France que l’on obtienne la déclassification de tous les documents en relation avec la mort de Robert Boulin », explique Olivier Morice (1’21")






    témoignage inédit



    BERNARD RUMEGOUX : « POUR MOI, BOULIN A ETE ASSOMME »



    Jusqu’ici, l’homme n’était encore jamais apparu en pleine lumière dans l’affaire Boulin. Son témoignage est pourtant capital. En 2007, nous l’avions rencontré et rapporté ses propos, mais de façon anonyme (« Un homme à abattre », p. 192-194). 30 ans après la mort de Robert Boulin, Bernard Rumégoux accepte de dévoiler son identité et de livrer en pleine lumière ce qu’il sait…

    L’homme est un habitué des salles d’autopsie. Il a travaillé pendant près de vingt ans (de 1979 à 1995), à l’Institut médico-légal de Bordeaux, avant de quitter le milieu hospitalier. « Agent d’amphithéâtre », puis selon la nouvelle dénomination administrative, « agent des services mortuaires et de désinfection », il assistait les médecins pratiquant des autopsies en milieu hospitalier, et dit avoir participé dans sa carrière à plus de 20 000 autopsies.
    Le 13 novembre 1983, Bernard Rumégoux était aux côtés des médecins qui ont procédé à une deuxième autopsie de Robert Boulin, après exhumation du corps. Il a extrait le corps de Robert Boulin de son cercueil, l’a transporté dans la salle d’autopsie de l’hôpital Pellegrin de Bordeaux, puis assisté à l’examen externe du corps, au cours duquel on recherche systématiquement d’éventuels lésions ou hématomes.
    Ce jour là, Bernard Rumégoux se souvient parfaitement avoir remarqué « un hématome derrière le crâne » correspondant à « un coup » ainsi qu’ une « coupure au poignet » qu’il identifie comme « des liens très serrés ». « Pour moi, dit-il, [Robert Boulin] a été assommé. »
    Bernard Rumégoux (1’12")

    Pourtant, ni cet hématome derrière le crâne, ni la coupure au poignet ne figurent sur le deuxième rapport d’autopsie. Bernard Rumégoux se dit prêt à témoigner devant la justice.
    Où l'on distingue très nettement une coupure au poignet droit décrite par Bernard Rumégoux, mais dont on ne retrouve aucune trace dans les rapports d’autopsie.
    Où l’on découvre que « l’examen du crâne n’est pas effectué sur directives de Monsieur le Procureur de la République » Le chef de cabinet de Robert Boulin avait alors –indument– prétendu que la famille Boulin ne souhaitait pas qu’on touche au crâne du ministre.
    Où l’on découvre que la première autopsie ne prouvait pas scientifiquement la noyade et qu’il y a eu « traumatisme appuyé du massif facial du vivant de Robert Boulin. »



    témoignage inédit



    JEAN CHARBONNEL : « ALEXANDRE SANGUINETTI M’A DIT : "C’EST UN ASSASSINAT" »



    Jean Charbonnel fait partie des derniers grands témoins du gaullisme.
    Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, chargé de la Coopération sous de Gaulle (1966-1967), ministre du Développement industriel et scientifique sous Pompidou (1972-1974), cet ancien député-maire de Brive-la-Gaillarde (de 1966 à 1995) a notamment été conseiller à la Cour des Comptes (1962), secrétaire général-adjoint de l’UDR (1968-1971) et président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale (1971-1972).

    Ce « gaulliste de gauche » a notamment joué un rôle clé pour tenter de dénouer le conflit dans l’entreprise horlogère « Lip » en 1973-1974.
    Jean Charbonnel révèle que fin 1979 Alexandre Sanguinetti, ex-secrétaire général de l’UDR (1973-1974), co-fondateur du SAC (Service d’action civique), chargé de la lutte anti-OAS au cabinet de Roger Frey pendant la guerre d’Algérie, lui affirme que la mort de Boulin est « un assassinat ».
    Sanguinetti lui cite alors « deux noms de personnalités politiques toujours vivantes » qui pouvaient, d’après lui, être « impliqués dans cette affaire » et le nom « d’une organisation » pour qui « Robert Boulin constituait une menace, une gêne, une inquiétude. »
    Jean Charbonnel (3’37")

    Jean Charbonnel raconte dans quelle circonstance il a vu Robert Boulin pour la dernière fois, « trois semaines » avant sa mort. « Il faudra qu’on se revoie… » lui lance alors celui qui est pressenti pour succéder à Raymond Barre.
    Jean Charbonnel (47")

    Jean Charbonnel estime aujourd’hui « qu’il n’a « plus de doute : Robert Boulin a été assassiné », évoquant « un règlement de compte politique. »
    Jean Charbonnel (1’19")

    Jean Charbonnel explique de quelle façon il a connu pour la première fois Robert Boulin (représentant de « la tendance sociale, centre-gauche, du gaullisme ») en 1961, à l’occasion de la préparation d’un texte de loi pour lutter contre la pollution de l’atmosphère.
    Jean Charbonnel (2’03")

    Jean Charbonnel se dit prêt à témoigner devant la justice.




    Après la mort de Robert Boulin, le sénateur Pierre Marcilhacy, membre du Conseil constitutionnel, fut l’un des rares hommes politiques à remettre en cause publiquement la thèse du suicide de Robert Boulin.
    >> Lire les déclarations de Pierre Marcilhacy dans la presse, en janvier 1984 : « C’est un crime ».

    En novembre 2007, le journaliste Jean Mauriac avait également confié au site Rue 89 que Michel Jobert et Olivier Guichard l’avaient « assuré de l’assassinat de Robert Boulin ».

    Ecoutez l’entretien que nous avez accordé le gaulliste historique Olivier Guichard en 2002 dans lequel il explique qu’il n’a « jamais cru que Robert Boulin s’était suicidé », qualifiant la thèse officielle de « farfelue » (à 2’10 dans l’entretien de 3’43").
    Olivier Guichard (3'43")



    LAETITIA SANGUINETTI : « BOULIN ETAIT DEVENU UNE CIBLE »



    Le témoignage de Jean Charbonnel est confirmé par la fille d’Alexandre Sanguinetti, Laetitia Sanguinetti, qui a été l’attachée parlementaire de son père, mort le 9 octobre 1980.

    Elle raconte comment 15 jours après la mort de Robert Boulin, son père parle d’un « assassinat » puis d’« une bavure » . Selon Laetitia Sanguinetti, Robert Boulin, « d’une intégrité totale », était devenu « une cible » car disposant d’informations sur un « réseau de fausses factures » et « de financement occulte » des partis politiques, dont le RPR.
    Laetitia Sanguinetti (3’45")

    Peu de temps après la mort de son père en 1980, Laetitia Sanguinetti raconte comment des « barbouzes du RPR » sont venus l’interroger pour savoir si elle détenait des « dossiers » , notamment sur d’éventuelles « preuves écrites de l’assassinat » de Robert Boulin. Suivront alors plusieurs cambriolages à son domicile…
    Laetitia Sanguinetti (1’41")

    Laetitia Sanguinetti se dit prête à témoigner devant la justice.



    témoignage inédit



    UN EX-POLICIER DU SRPJ DE VERSAILLES : « JE NE PEUX PLUS CROIRE AU SUICIDE »



    En octobre 1979, Jean-Pierre Courtel était inspecteur de police au groupe criminel du SRPJ de Versailles. L’homme est l’un des premiers policiers à se rendre sur place, à l’étang Rompu où gisait le corps de Robert Boulin, le 30 octobre au matin. Il assiste à la sortie du corps de l’eau par les sapeurs-pompiers, puis à l’autopsie du ministre à l’Institut médico-légal de Paris.
    Entendu le 20 janvier 1984 dans les locaux du SRPJ de Versailles, en présence du commissaire Gilles Leclair, chef du groupe criminel (actuel coordinateur des services de sécurité intérieure en Corse), Jean-Pierre Courtel, alors inspecteur de police au SRPJ d’Ajaccio, affirme sur procès-verbal :
    « Pour moi, certaines des excoriations présentes sur le visage de Monsieur Boulin étaient consécutives à la sortie du corps de l’eau par les pompiers. En effet, le visage a vraisemblablement « râpé » la berge ».
    Un témoignage qui sera utilisé par la suite pour accréditer l’idée de blessures au visage du ministre qui auraient été occasionnés par d’éventuels chocs dû au transport du corps, notamment à cause d’un rocher présent sur l’étang… qui, en réalité n’a jamais existé !

    Aujourd’hui, notamment à la lumière des photos du corps prises à l’époque, Jean-Pierre Courtel (qui a quitté la police en 1997) tient à mettre les choses au point :
    1/ Contrairement à ce que pouvait laisser entendre son témoignage à l’époque, ce qui apparaît sur le visage de Boulin « ce ne sont pas des excoriations, ce sont des blessures »
    2/ « En aucun cas la sortie du corps ne peut avoir provoqué les blessures sur le visage de Robert Boulin » , explique Jean-Pierre Courtel.
    Et il ajoute, dans un accès de franchise : « Je n’ai peut-être pas vu ce qu’il fallait voir… »
    Ecoutez son témoignage en longueur.
    Jean-Pierre Courtel raconte d’abord dans quelles conditions il est prévenu de la disparition de Robert Boulin, et comment il se rend sur place avec son chef de groupe, tandis que les gendarmes ont déjà investis les lieux.


    Jean-Pierre Courtel, l’un des premiers policiers à se rendre à l’étang Rompu. (2’18")

    Jean-Pierre Courtel explique de quelle façon le corps de Robert Boulin a été sorti de l’eau. Il n’y avait « pas d’obstacles, surtout pas de rocher ». Même si, dans son souvenir, lors de la manipulation du corps par les pompiers, la tête a pu à un moment « toucher la berge », cela n’explique en rien l’état du visage du ministre.
    « Parler d’excoriations relève de l’escroquerie », estime Jean-Pierre Courtel. A l’époque, il dit avoir vu « un visage blanc, livide », mais le corps venait de passer plusieurs heures dans une eau à dix degrés. « D’où j’étais, à quelques mètres, je n’ai pas vu les blessures qui apparaissent sur le visage. »
    A l’époque, il pensait sincèrement qu’il s’agissait d’un suicide. Ce qu’il ne croit plus aujourd’hui.
    Jean-Pierre Courtel (5’21")

    Présent, à l’Institut médico-légal de Paris, lors de l’autopsie de Robert Boulin, Jean-Pierre Courtel se souvient de l’ambiance hors-norme dans laquelle s’est déroulée l’autopsie de Robert Boulin.
    Jean-Pierre Courtel (1’23")

    La noyade ne sera jamais prouvée scientifiquement, par un examen anatomo-pathologique. Tous les prélèvements d’organes ne Robert Boulin seront par la suite détruits de façon illégale.



    « Je ne m’explique pas que d’autres collègues disent avoir été présents au moment de la sortie du corps »



    Dans le dossier Boulin, de nombreux fonctionnaires de police du SRPJ de Versailles affirment sur procès-verbal avoir été le témoin de la sortie de l’eau du corps du ministre, la plupart du temps pour accréditer la thèse de chocs au visage au moment de la sortie de l’eau. Ce que conteste Jean-Pierre Courtel : il n’a gardé aucun souvenir de la présence de ses collègues (hormis son chef de groupe) à ce moment là.
    Jean-Pierre Courtel (1’51")

    Une confrontation entre Jean-Pierre Courtel et ses collègues de l’époque permettrait sans doute d’y voir plus clair.
    Interrogé le 18 mai 2005 par la Direction centrale de la Police judiciaire de la Division nationale pour la répression des atteintes aux personnes et aux biens, le fonctionnaire de police qui avait parlé à l’époque de « roche » dans l’étang Rompu qui aurait heurté la tête du ministre, parle cette fois d’« un corps tombé » face contre terre dans une eau peu profonde sur quelque chose [qu’il avait] identifié à l’époque comme étant un caillou. »
    « A l’époque, le suicide me semblait plausible » , explique aujourd’hui Jean-Pierre Courtel, qui se présente comme « gaulliste ». Trente ans plus tard, « je ne peux plus y croire » , affirme l’ancien policier du SRPJ de Versailles qui « espère que la justice passera » et « que les assassins soient châtiés » .
    Jean-Pierre Courtel (2’48")

    Jean-Pierre Courtel se dit prêt à témoigner devant la justice.


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